«BullShit», le roman qui dit tout du pervers narcissique

Il est manipulateur et destructeur.

Parfait à l’extérieur, odieux avec sa proie.

Sur la base d’une expérience vécue, Nicole Kranz dresse le portrait de ce prince tout sauf charmant dans BullShit, un récit aussi éclairant qu’accablant.

 

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Il adore, adule, et puis rugit. Cajole, console, et puis maudit. Pour un motif aussi futile que la préparation des radis. Sans cesse, il reprend ce qu’il vient de donner tout en promettant à l’être aimé un bonheur plein et entier. Bienvenue dans la galaxie du pervers narcissique. Un manipulateur qui, sous couvert d’amour, humilie sa proie et tire de cette entreprise de démolition une profonde satisfaction.

 

Dans «BullShit», roman inspiré par son expérience et celle d’autres femmes, Nicole Kranz restitue avec précision cette non-histoire d’amour qui épuise, réduit l’être humain à rien et fait douter. «BullShit pour le taureau que devient Chloé, victime transformée en bête de corrida», raconte Nicole Kranz dans un café genevois.

 

La lecture de ce récit est éprouvante.

C’est une immersion sans concession dans le quotidien d’une jeune femme dynamique qui perd toute autonomie au contact de Cédric, séducteur très trompeur.

Alors que Chloé vit à New York une existence épanouie après une adolescence chaotique en Suisse, elle rencontre Cédric à Genève, au cours d’une soirée entre amis. Elle est belle, grande, mince. Il est subjugué, transi. Drague classique, première nuit pas spécialement fracassante, l’histoire aurait pu s’arrêter là.

Elle aurait dû s’arrêter là pour éviter un enfer à la trentenaire.

Mais non, Cédric a vu la faille chez la jeune femme, il a perçu son passé blessé d’anorexique et de borderline, il a exploité la plaie.

 

Jamais se soumettre.

On reste sans voix. Comme la famille et les amis qui ont été visiblement mystifiés par Cédric, vrai gentleman de façade. Vu que Chloé a un passé compliqué, sa légitimité de jugement est compromise aux yeux de ses propres parents. Très éprouvant pour le lecteur de réaliser à quel point les plus proches alliés lui refusent tout soutien quand elle se décide à parler. C’est aussi une règle du pervers narcissique: maîtriser l’environnement de sa victime pour empêcher toute sortie de secours. Du lourd.

 

On ne dévoilera pas la fin. La simple présence de Nicole Kranz dans le café genevois où on la rencontre laisse deviner que le pire a été évité. Le roman est glaçant, mais édifiant. «Une femme ne doit jamais se soumettre», implore l’auteure qui vit à présent à Paris, dans un petit nid cosy. «Personne ne doit jamais s’oublier, ni arrêter de s’écouter. Même par amour. Surtout par amour!» insiste-t-elle. On l’a bien noté.

 

Interview :

Dans BullShit, la jeune quadragénaire raconte de manière transposée et romancée la relation avec un pervers narcissique. Oppressant et édifiant. Elle explique pourquoi son livre est nécessaire aujourd’hui.

 

Le Temps: La première chose qu’on a envie de demander à Chloé, le personnage central, c’est pourquoi elle a subi le pire pendant toutes ces années sans se rebeller.

 

Nicole Kranz: Vivre avec un pervers narcissique est une expérience très particulière.

D’un côté, la victime est lucide, elle réalise le mal qu’elle subit.

De l’autre, elle est neutralisée par les promesses de changement et une sorte de pression, donc incapable de réactions, comme si les forces manquaient. Encore faut-il mettre un nom sur un profil. Je n’ai su que tardivement ce qu’était un pervers narcissique et les choses se sont alors éclaircies pour moi. J’ai compris que je n’étais pas responsable de cet état. En plus, comme je n’avais jamais encore vécu en couple, j’avais envie de relever ce défi à n’importe quel prix.

 

– Ce qui frappe également dans le roman c’est le désintérêt, voire la dureté des parents de Chloé. Comment l’expliquer?

 

– Simplement parce que le pervers narcissique est un formidable manipulateur. Il mystifie tout le monde, la famille, les amis, les collègues de travail. Il embobine, c’est son talent.

Mais le pire, c’est que souvent, les pervers sont de vrais ploucs. C’est un drôle de mélange. Parfois, ils font peur, tellement ils sont intrusifs et menaçants. Parfois, ils font pitié tellement ils sont à côté de la plaque et encombrants. Tout au fond, ce sont de pauvres types.

 

– Tout pervers narcissique n’est pas un obsédé sexuel, voire un déviant sexuel. Le vôtre, oui. Là encore, on se demande pourquoi Chloé subit tout ça sans réagir…

 

– Il y a une part de curiosité. Quand on se retrouve à endosser des rôles sexuels particuliers, on se dit: «Tiens, est-ce que je vais être capable de devenir ça?» Et aussi, on a toujours à l’esprit de rendre l’autre heureux. Après, c’est clair que la victime d’un pervers sexuel est quelqu’un qui doute de soi et qui a un grand manque. Certaines familles montrent moins d’affection que d’autres. Certains parents sont trop occupés pour bien prendre soin de leurs enfants. Du côté de la victime, il y a aussi un profil type où le sentiment d’abandon l’abonne au pire.

 

– Pourquoi avoir écrit ce livre qui mélange réalité et fiction?

 

– En tant qu’écrivain, c’est une histoire passionnante à raconter. Et parce que je suis loin d’être la seule à avoir eu affaire à un pervers narcissique! Je suis scandalisée par le travail de désinformation de «Fifty Shades of Grey», outrée que le sadomasochisme soit présenté dans ce livre et dans ce film de manière si douce et sucrée. C’est faux, archifaux! La perversion et la manipulation sont des actes horriblement destructeurs et humiliants qu’on ne doit absolument pas banaliser. La jeune fille n’a que 20 ans, elle n’est pas à même de maîtriser la situation.

 

Depuis que «BullShit» est sorti, je reçois plein de réactions et de témoignages de femmes et d’hommes qui se sont reconnus et je peux vous garantir qu’il n’y a rien de léger ni de glamour dans leurs confessions. Mon message est clair: dès que vous commencez à vous demander ce que vous avez le droit de faire ou non, dans votre couple, dans une relation amicale ou professionnelle, partez !

 

Personne ne doit se laisser dicter ses actes et ses pensées.

 

BullShit, Nicole Kranz, Ed. Torticolis et frères, 2016